Le blob ou la possibilité d’un apprentissage sans cerveau

Blob en laboratoire (2017, Audrey Dussutour)

Billet archive aujourd’hui puisque je ressors les notes que j’avais prises lors de ma lecture, l’an passé, du livre d’Audrey Dussutour, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander[1] et de mon visionnage du film qui en a été adapté[2] (toujours disponible gratuitement sur Arte).

Blobs s’échappant de boîtes de Petri (Audrey Dussutour)

Il y est question de Physarum polycephalum, un organisme unicellulaire qui a été popularisé sous le nom de blob. Physiquement c’est une espèce de fine pate jaune, orange ou rouge qui vit majoritairement dans les sous-bois sombres et humides. Pour se déplacer, cet organisme s’étend en créant un réseau de veines. La biologiste Audrey Dussutour, qui l’a beaucoup étudié et popularisé, raconte que durant un week-end, les blobs s’étaient échappés de leur boite de culture, à la recherche de nourriture … colonisant ainsi une large partie du plafond de son laboratoire.

C’est un des très rares organismes unicellulaires visibles à l’œil nu … et même plus ! Plusieurs records ont été documentés quant à sa taille : 10m² en laboratoire, 53,09 m dans un lycée[3], plus d’1,3 km² à l’état sauvage dans les Appalaches[4] (États-Unis). Il faut garder en tête que ces surfaces ne représentent qu’une seule et unique cellule (comprenant des milliers de répliques de son noyau). À titre de comparaison, une cellule humaine (ne comprenant qu’un noyau) mesure en moyenne 10 micromètres de diamètre.

Parmi ses nombreuses capacités, le blob est capable de fusionner, rien que ça. Si un autre individu de la même espèce (et de sexe différent, nous y reviendrons) se trouve à ses côtés, ils fusionnent. Il ne reste donc qu’un individu. A l’inverse, s’il est coupé en deux, trois, quatre parties … il se scinde en deux, trois ou quatre parties. Cette capacité de scission rappelle celle de la magnifique étoile de mer du Pacifique Acanthaster planci. Aussi appelé Couronne du Christ, cette grande étoile de mer (25 à 80 cm de diamètre) criblées de piquants venimeux provoquant des nécroses est devenue une espèce invasive pour diverses raisons, notamment liées au réchauffement climatique et son impact sur l’eau. Pour ne rien arranger, elle est corallivore. C’est-à-dire qu’elle décime les récifs coralliens. A titre d’exemple l’île de Moorea a perdu plus de 96% de sa couverture corallienne à cause des acanthasters entre 2005 et 2010[5]. Véritable problème écologique, plusieurs méthodes ont été utilisées pour en réduire la population. Le Japon et l’Australie (la grande barrière de corail australienne est, elle aussi, touchée) ont ainsi commencé à opter pour une découpe de l’animal en deux … avant de se rendre compte qu’au moins une des deux parties se régénéraient, voire donnait naissance à un clone. L’humain n’étant jamais en manque d’idée lorsqu’il s’agit de tuer, les acanthasters sont aujourd’hui remplies de bisulfate de sodium à l’aide d’un fusil-injecteur à quatre endroits différents de façon à s’assurer qu’aucune partie de l’animal ne puisse survivre.

Acanthaster planci au Timor (Wikipédia)
Acanthaster planci aux Philippines (Wikipédia)
Acanthaster planci en Thaïlande (Wikipédia)

Revenons au blob, jamais perdu, des travaux ont montré qu’au milieu d’un labyrinthe, il est capable d’en trouver la sortie … la plus courte ! L’optimisation du complexe réseau de veines qu’il déploie semble telle que ses capacités sont exploitées, via des algorithmes mimant virtuellement les blobs, dans le développement de réseaux de communication optimisés[6].

Optimisation toujours, cette fois-ci culinaire. En présence de plusieurs sources de nourriture, le blob est capable de reconstituer le repas optimal en piochant dans les ressources à sa disposition.

Cycle de reproduction de Physarum polycephalum[7]

Concernant sa reproduction, si le clonage est possible, le blob peut tout de même se reproduire de façon sexuée à l’aide de spores. Les spores libérées par le blob vont, à leur tour, libérer des cellules (des gamètes) devant être fécondées par un gamète de sexe différent. Trois sites génétiques (matA, matB, matC) définissent le type sexuel du blob. Ces trois sites génétiques disposent chacun de 16, 15 et 3 allèles, soit 720 combinaisons possibles[7] ! Autant dire que la probabilité qu’un gamète se retrouve en contact avec un gamète de même sexe est assez faible.

Quant à sa mort, on a du mal à l’imaginer. En effet, en cas de conditions défavorables, le blob entre en phase de dessication sous la forme d’une sclérote. Il pourra rester sous cette forme, en dormance, durant des années, jusqu’à l’apparition de conditions favorables.

Expérience de l’habituation avec Physarum polycephalum[7]

Toutefois, sa capacité la plus impressionnante est surement celle de l’apprentissage. Pour montrer cela, Audrey Dussutour explique le protocole expérimental qu’elle a mis en place. Elle part d’abord d’un constat : le blob déteste la quinine, il ne va pas dessus. Elle décide alors de positionner le blob à l’extrémité d’un pont de quinine. A l’autre bout du pont : de la nourriture. Le blob doit donc passer sur ce pont désagréable pour se nourrir. Les premiers jours sont compliqués, le blob avance très lentement. Mais, au bout du sixième jour, le blob ne fait plus du tout attention à la quinine. Il a appris que ce passage n’était pas dangereux. Attention, s’il n’utilise pas cette compétence pendant un certain temps, il l’oublie et devra la réapprendre. Il peut toutefois transmettre sa connaissance ! En effet, si un blob expérimenté fusionne avec un blob naïf. Le blob qui en résulte est expérimenté. Aussi, si ce nouveau blob est scindé en deux, les deux blobs auront aussi acquis cette connaissance.

Grossièrement, c’est un peu comme si l’on acquérait les connaissances de quelqu’un par transfusion sanguine. Philosophiquement ça semble soulever des questions intéressantes. Ces travaux sont aussi la démonstration parfaite qu’une forme d’apprentissage ou d’acquisition de compétence est possible sans cerveau, de quoi remettre l’humain à sa place !


[1] Audrey Dussutour, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander, EquateurSciences, 2017

[2] Jacques Mitsch, Le blob, un génie sans cerveau, 2019

[3] Marine Bruneau, Big Blob Record : le record mondial du plus long blob battu !, CNRS.fr, 2022

[4] Je n’ai pas réussi à trouver de source primaire concernant ce chiffre mais il est utilisé sur le site du Museum de Toulouse. Dominique Morello, Insolite: ni plante, ni animal, ni bactérie, simplement BLOB !, 2018

[5] Morgan S. Pratchett, Ciemon F. Caballes, Jennifer C. Wilmes, Samuel Matthews, Camille Mellin, Hugh P.A. Sweatman, Lauren E. Nadler, Jon Brodie, Cassandra A. Thompson, Jessica Hoey, Arthur R. Bos, Maria Byrne, Vanessa Messmer, Sofia Valero-Fortunato, Carla C.M. Chen, Alexander C.E. Buck, Russell C. Babcock, Sven Uthicke, « 30 Years of Research on Crown-of-thorns Starfish (1986-2016): Scientific Advances and Emerging Opportunities », Diversity, vol. 9, no 41,‎ 2017 (DOI 10.3390/d9040041, www.mdpi.com/1424-2818/9/4/41/pdf) dans Wikipédia

[6] Edzang, Le Blob, créateur de cartes de réseaux de transport ?, Veille Carto 2.0, 2020

[7] Physarum polycephalum, Wikipédia

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