Histoire et fonctionnement des plantes à fleurs

Une plante à fleurs, Euphorbia, et un pollinisateur, Brachycera (Noé Ciscki)

Il y a quelques temps, j’ai lu L’histoire secrète des fleurs de François Parcy (Humensciences, 2019). Un livre de plus pour plonger dans la vie des labos, en plein milieu des 90s, remplis de nerds de l’évolution ! Le livre a inspiré un documentaire, L’Abominable mystère des fleurs de Clément Champiat & François Tribolet en 2022, complémentaire au livre. C’est une belle occasion d’entrapercevoir le fonctionnement et la vertigineuse histoire évolutive d’une partie du végétal contemporain.

Faire le point sur le végétal contemporain

Les plantes à fleurs (angiospermes) représentent aujourd’hui 90% de la biodiversité végétale. On estime entre 300 000 et 400 000 le nombres d’espèces différentes d’angiospermes contre 1 000 concernant les gymnospermes (majoritairement des conifères). Leur richesse est tel qu’on estime qu’il existe plus d’espèces différentes d’orchidées que d’espèces de mammifères et d’oiseaux réunis[1] !

Les gymnospermes se caractérisent par une reproduction sexuée dont les ovules sont à nus. Les organes reproducteurs mâles et femelles peuvent se trouver sur deux branches différentes ou sur deux pieds différents. La rencontre entre le pollen mâle et l’ovule est majoritairement dépendante du vent. On parle d’anémophilie.

Quant aux angiospermes, ils ont la particularité de développer des organes sexuels masculins (les étamines) et féminin (le pistil) au même endroit : la fleur. Si le vent joue un rôle certain dans la rencontre du pollen mâle avec le pistil (renfermant les ovules), c’est surtout via les pollinisateurs (insectes et oiseaux principalement) que les plantes à fleurs vont réussi à se reproduire.

Des stratégies diverses

Pour attirer les pollinisateurs, plusieurs stratégies ont été naturellement sélectionnées.

L’aspect esthétique visible

C’est la stratégie la plus évidente. Les fleurs doivent se faire remarquer et être identifiées par les pollinisateurs. Pour cela, la couleur de la fleur est importante. Ces couleurs peuvent être le résultat de colorants générés par la plante elle-même : les anthocyanes (violet, jaune, rouge), les caroténoïdes (jaune, orange)[2] et les bétalaïnes (rouge, violet). Même s’il peut être observé dans certaines situations, comme en Bretagne où le sol donne des hortensias bleus, cette couleur est nettement plus compliquée à obtenir sous forme de pigment. Une autre méthode a donc été sélectionnée pour produire cette couleur. Dans ses travaux, Edwige Moyroud[3],  biologiste moléculaire des plantes, montre que la couleur bleue est produite par un système de stries à la surface des pétales de certaines fleurs, produisant un halo bleu (comme sur l’exosquelette de certains coléoptères). Ce système est le même que celui visible en retournant un CD, à ceci près que les stries ne sont pas aussi parfaites, restreignant la gamme de couleur produite aux bleus.

Ophrys apifera

La forme de la fleur est aussi importante. Ainsi, le labelle de certaines orchidées, comme l’Ophrys apifera, aussi appelée Ophrys abeille, mime à la perfection l’abeille femelle. La plante produit même les phéromones de la femelle[4] ! L’appât est parfait.

Cette co-évolution plante/pollinisateur entraine une spécialisation importante de nombreuses plantes à fleurs. Deux propriétés découlent donc de ce constat. Premièrement, s’il y a des fleurs, il y a nécessairement (au moins) un pollinisateur pour assurer sa reproduction. C’est l’histoire de l’étoile de Madagascar, Angraecum sesquipedale, apportée à Darwin. Cette orchidée endémique de Madagascar a la particularité de produire son nectar au fond d’un tube de 25 à 30cm de long. « Dans plusieurs fleurs que m’a envoyées M. Bateman, j’ai trouvé des nectaries de onze pouces et demi de long, avec seulement le pouce et demi inférieur rempli d’un nectar très doux. […] Il est cependant surprenant qu’un insecte soit capable d’atteindre le nectar : nos sphinx anglais ont des trompes aussi longues que leur corps ; mais à Madagascar il doit y avoir des papillons avec des trompes capables d’une extension d’une longueur comprise entre dix et onze pouces ![5] » Même sans l’avoir identifié (le papillon Xanthopan morgani praedicta ne le sera qu’en 1903), Darwin savait qu’un pollinisateur œuvrait pour la reproduction de cette plante.

L’orchidée Angraecum sesquipedale et son pollinisateur Xanthopan morgani (photo par Mitsuhiko Imamori)

La deuxième propriété issue de cette spécification est la dépendance de la plante à son pollinisateur. Si celui-ci disparait, il y a de fortes chances que la plante disparaisse aussi.

A l’inverse, les travaux de Florian Schiestl[6] (chercheur en botaniste évolutive) mettent en évidence un début de spéciation en lien avec le pollinisateur très rapide (9 générations). En l’espèce, les plans de Brassica rapa butinés par des syrphes deviennent plus petits avec de petites fleurs, tandis que les plans butinés par des bourdons sont plus grands, avec de plus grosses fleurs et plus parfumés. Peu à peu ces différences induites par des types pollinisations différents entrainent l’apparition de nouvelles espèces.

À toutes fins utiles, François Parcy rappellent le caractère purement aléatoire de cet ensemble de mutations bénéfiques. « La plante n’a pas eu « l’idée » de modifier ses pétales pour mimer le bourdon, de modifier son métabolisme pour produire des phéromones. Elle n’a pas planifié de faire pousser un appendice génital sur son pétale pour que le bourdon s’y démène plus longtemps. Contrairement à un certain discours ambiant, la plante n’a pas l’intelligence de modifier sa descendance pour augmenter son pouvoir de séduction. C’est au gré des mutations qui touchent ses chromosomes que la plante explore l’espace des possibles – l’espace des formes, des couleurs et des molécules.[7] »

La fleur telle qu’elle est perçue par une abeille

L’aspect esthétique invisible

Il ne faudrait pas oublier que notre vision humaine est loin d’être parfaite et que les pollinisateurs voient des choses qui ne nous sont pas accessibles. C’est notamment le cas des rayonnement ultraviolets. Le documentaire[8] met ainsi en lumière les travaux d’Aline Raynal (botaniste) et d’Albert Roguenant (entomologiste). On y découvre les fleurs sous un nouveau jours : les pétales sont ternes, à l’inverse des organes reproducteurs, étincelants !

Arum titan en fleur dans les Grandes Serres du MNHN

Le parfum

Le parfum est un autre facteur d’attraction. Celui-ci est sélectionnée en fonction des « gouts » des pollinisateurs, ce qui veut donc dire qu’ils ne sont pas tous agréables à sentir pour le nez humain. L’arum titan[9], Amorphophallus titanum, aussi appelé phallus de titan, en plus d’être une des plus grandes fleurs du monde (pour un poids de 16 kg), produit une odeur pestilentielle allant du cadavre en décomposition au poisson. Cette odeur n’a pas été sélectionnée par hasard. Elle attire un gros coléoptère qui la pollinise. De plus, une stratégie de diffusion de ce parfum a aussi été sélectionnée. Par un phénomène de thermogénèse, c’est-à-dire de production de chaleur, la plante arrive à diffuser ce parfum jusqu’à 1km à la ronde pour les pieds mâles.

De la nourriture : le nectar

Enfin, la récompense disponible pour tout pollinisateur est nutritive : le nectar. Les pollinisateurs y retournent régulièrement pour se nourrir. Cette régularité peut aussi être expliquée par un phénomène d’accoutumance lié à la teneur en caféine du nectar de certaines plantes comme le caféier, le théier, le cacaotier ou le kolatier[34]. Les travaux en physio-acoustique de la biologiste Lilach Hadany[10] semblent même mettre en valeur une plus grande concentration en sucre du nectar quand le son du vol des abeilles est détecté par des micro-vibrations des pétales.

Comment fonctionnent nos fleurs contemporaines ?

Pour tenter d’apporter des réponses, il faut plonger au niveau cellulaire[11]. Le génome des plantes à fleurs est composé de l’ensemble de ses chromosomes. Ce génome contient toutes les informations concernant la construction et le fonctionnement de cet organisme. L’ensemble de ces informations n’est codé qu’avec quatre lettres : A, C, G, T. Il est présent dans chaque cellule.

Pour utiliser une information présente sur un chromosome, des copies plus fragiles en sont faites : l’ARN. Ces copies sont déclenchées par des protéines spécifiques appelées facteurs de transcriptions. Ce sont ces facteurs de transcriptions qui activent, ou non, certains gènes. Ils sont présents dans chaque cellule. Les ARNs permettent de créer d’autres protéines. Ces protéines peuvent avoir des fonctions très différentes (coloration, photosynthèse, croissance des racines, création de tel composant de la cellule etc.). Bien que cette somme d’informations soient théoriquement présentes dans chaque cellule, elles ne sont pas utilisées en même temps. Une grande partie des informations présentes dans le génome (trop spécifiques à certains moments et/ou environnement) ne sera jamais utilisé par la cellule. A l’inverse, certains gènes, appelés gènes de ménage sont actifs dans tous les tissus tant leurs fonctions sont nécessaires au bon fonctionnement de toute cellule.

Un peu d’histoire des sciences

Des plantes mutantes

François Parcy remonte à la fin du XVIIIème siècle durant lequel Goethe observe les anomalies des roses prolifères pour essayer de mieux comprendre leur fonctionnement habituel[12]. Il fait alors la proposition suivante : les organes floraux ne seraient en fait que des feuilles modifiées.

Le futur lui donnera raison et les avancées qui seront faites dans ce sens le seront avec la même démarche : observer (et même créer) des erreurs pour découvrir le sans-faute. Pour cela, des plantes modèles vont être utilisées. Ces plantes doivent correspondre à plusieurs critères. Elles ne doivent ni être trop petites, ni être trop grandes. De même, elles doivent être facile à cultiver, à entretenir et leur cycle de vie de doit pas être trop long. En effet, certaines plantes mettent 20 à 30 ans avant d’arriver à maturité sexuelle. L’idée étant de pouvoir étudier plusieurs générations dans un espace restreint, il faudrait un espace gigantesque et des humains à l’espérance de vie de 300 ans.

Antirrhinum majus

La gueule de loup, Antirrhinum majus, a ainsi été sélectionnée comme plante modèle par la botaniste et généticienne allemande Emmy Stein (1879 – 1954). Cette scientifique sera la première à travailler sur les effets de radiations au radium sur des végétaux. Ses conclusions sont capitales : les anomalies entrainées par les radiations sont transmises à la descendance. C’est le patrimoine génétique qui est touché ! Ces résultats seront bien évidemment récompensés par un Prix Nobel quelques années plus tard … à un homme,  Hermann Joseph Muller, pour des travaux similaires. Peu documentées, la vie de Stein semble par ailleurs passionnante. La vie d’une femme de sciences, volontaire et passionnée, en Allemagne au XIXème siècle qu’elle partagea quelques années avec sa compagne Luise Von Graevenitz, qui suivait une carrière semblable[13].

Arabidopsis thaliana

L’arabette des dames, Arabidopsis thaliana, est une autre plante ayant été sélectionnée comme plante modèle, notamment en raison de son inutilité commerciale. La démarche scientifique s’inscrit dans une société capitaliste, qu’il est toujours agréable de pouvoir court-circuiter en étudiant des organismes qui n’ont pas encore été transformés en potentiels profits économiques.   

Avec cette technique de création d’erreurs génétiques, plusieurs découvertes sont faites. Le biologiste français Jérôme Giraudat découvre ainsi plusieurs récepteurs hormonaux en 1992 et 1994[14]. Les plans mutants sont collectés et échangés à travers le monde pour être étudiés. Ils deviennent si nombreux qu’une classification est construite :

  • Les mutants avec floraison décalée, la floraison ne se fait pas au bon moment ;
  • Les mutants présentant des fleurs au mauvais endroit ou sans fleur ;
  • Les mutants présentant des fleurs à problèmes.
Réseau floral contrôlé par LEAFY. Le modèle ABCE formalise la détermination de l’identité des quatre types d’organes floraux, les sépales (se), pétales (pe), étamines (et) et carpelles (ca). LFY contrôle l’expression de plusieurs des gènes A, B, C et E[16].

En 1991, deux laboratoires vont conjointement publier un article dans Nature, The war of the whorls[15]. Cet article propose un modèle, le modèle ABC, toujours d’actualité, illustrant le poids de chacun des gènes A, B et C suivant sa zone d’influence.

Plusieurs mutants vont se révéler intéressants, notamment DEFICIENS (découverte du premier facteur de transcription en 1990). Plus tard c’est le mutant LEAFY (LFY) qui aura son heure de gloire grâce aux travaux de Detlef Weigel. Ce gène, s’il est muté, ne produit pas de fleurs, uniquement des feuilles. A l’inverse, s’il est fortement activé il ne produit que des fleurs[16]. En temps normal, un rapport de force est créé avec un autre gène, TERMINAL FLOWER1 (TFL1). Ce gène empêche LFY de s’exprimer, mais perds du terrain à chaque feuille créée ; LFY prenant de plus en plus de poids. « Le rôle du gardien TFL1 de la tige est d’empêcher l’architecte floral [LFY] de pénétrer sur son territoire pour le convertir en fleur[17] ». Par la suite, c’est LFY (ainsi qu’un gène assistant) qui induira les gènes A, B, C, E.

La collaboration entre LFY et son assistant est primordiale. Elle a notamment été mise en valeur par les travaux de Paula Elomaa et Teemu Teeri sur des plans de gerbera. Cette plante à fleur fleurie sous forme de capitules, c’est-à-dire que la fleur que nous pensons voir n’est en fait qu’une multitude de petites fleurs regroupées entre elles. Ces capitules sont composés de fleurs différentes, notamment celles situées sur l’anneau extérieure, qui présentent un grand pétale. Lorsque LFY ou l’assistant sont mutés, le capitule se transforme en un amoncellement de figes et de feuilles. Les deux gènes ont en fait des rôles complémentaires. LFY commande la totalité du plateau. Quant à l’assistant il commande de petits points très précis du plateau, marquant la place des futures fleurs. Lorsque son espace d’influence est étendue (artificiellement) au capitule entier, il n’y a qu’une et grande fleur qui apparait. Certaines plantes à fleurs, comme le chou romanesco sont de parfaites illustrations de ce phénomène de collaboration ratée. « En d’autres termes, les choux sont des bourgeons destinés à devenir des fleurs qui échouent à fleurir et deviennent finalement des tiges qui tentent à leur tour de produire des fleurs. Un cercle de production infini et particulièrement visible chez le chou-fleur et le chou romanesco »[18].

Des montagnes de fleurs ratées

Percevoir le jour quand on est une plante

On a rapidement compris que les plantes percevaient leur environnement. Mais comment ? En 1936, le scientifique soviétique Mikhail Chailakhyan nomme florigène, une hypothétique substance circulant par la sève déclenchant la floraison. Et il a de sérieuses raisons de penser ça. Les travaux de Wightman Garner et Harry Allard sur un plan de tabac géant, le mammouth du Maryland (4m de haut au lieu d’un et demi !) confirment cette hypothèse. La plante est capable de percevoir la durée du jour. Les plantes vont alors être classées suivant leur photopériode. Certaines ont besoin de longues périodes de lumières (la laitue), d’autres moins (le soja). Plusieurs expériences ont lieu. Ainsi, on découvre que la floraison peut être déclenchée si une seule feuille a perçu la photopériode comme suffisante (le reste de la plante étant dans le noir complet). Aussi, Mikhail Chailakhyan tente des greffes entre espèces différentes : il greffe des branches induites sur des porte-greffes non-induits. Les greffes induites déclenchent la floraison du porte-greffe ! L’hypothèse du florigène semble solide. Ces travaux en resteront malheureusement là pour des raisons tristement politiques : pas simple de s’opposer à Lyssenko dans l’URSS des années 1930.

Schématisation de Miguel Blázquez dans Sciences (2005)

Là aussi c’est un mutant qui apportera quelques réponses : CONSTANS (CO), découvert en 1995 par Joanna Putterill et son équipe. Quand CO est muté la plante fleurie toujours au même moment. La durée jour/nuit n’a aucun effet. CO est une protéine, facteur de transcription, produite durant la nuit et la fin de l’après-midi. Seulement, en l’absence de lumière elle est détruite instantanément et n’a donc aucun effet. Son besoin de lumière ne la rend donc efficace que durant les fin d’après-midi des longues journées d’été[19]. Lorsqu’elle est activée, CO active la protéine Flowering Locus T (FT), elle-même facteur de transcription pour les gènes de l’identité florale déclenchant la floraison. Après plusieurs études, et une rétractation, le résultat tombe, FT est produit dans des cellules à l’articulation entre les feuilles et les vaisseaux transportant la sève, voilà le florigène que recherchait Mikhail Chailakhyan ! Le pouvoir de la protéine FT semble immense tant il déclenche la floraison de nombreuses espèces, y compris en le prélevant sur une espèce et le greffant dans une autre.

Une histoire du végétal avant la fleur

La Terre a longtemps vécu sans aucune fleur à sa surface, à peu près 300 millions d’années. Il y a 1 milliard d’années, les algues sont présentes dans tous les milieux aquatiques : mers, lacs, rivières. Ces premières algues sont unicellulaires mais pratiquent déjà la photosynthèse. Cette innovation est née de l’intégration d’une cyanobactérie capable de photosynthèse par une algue unicellulaire qui n’en était pas capable. La bactérie se met alors à travailler pour son hôte, jusqu’à en devenir dépendante[20]. Au fil du temps, ces algues se complexifient et deviennent multicellulaires. Il y a 450 millions d’années, elles finissent même par sortir de l’eau douce. Cette adaptation terrestre : ce sont les mousses. Même en dehors de l’eau, elles en sont toujours dépendantes. Les mousses se développent ainsi proche de l’eau et au ras du sol. En cas de températures trop élevées, elles ont la possibilité d’arrêter leur croissance par un phénomène de dessiccation.

Jeune fougère aigle Pteridium aquilinum par la paléobotaniste Anne-Laure Decombei

50 millions d’années plus tard, ce sont les fougères qui font leur apparition sur Terre. Leur innovation phare est la cuticule. Il s’agit d’une pellicule cireuse protégeant les organes aériens de la plante contre la dessiccation et des ultraviolets. L’irrigation des tissus est mieux assurée et va permettre à ces nouvelles plantes de s’éloigner du sol pour mieux capter le soleil. C’est aussi à ce moment que se développent les premières racines. Elles permettent un meilleur encrage dans le sol (pratique quand les plantes sont de plus en plus grandes) et un meilleur accès aux ressources nutritives. Ces racines vont avoir un rôle géologique majeur puisqu’elles vont limiter l’érosion et ainsi forger de nouveaux paysages (jusqu’à l’arrivée du béton). Leur reproduction se fait par spores. Des spores se forment sous les feuilles de fougères. Ces spores vont se développer sous forme de plantules générant des gamètes mâles et femelles qui vont se rencontrer et, au contact de l’eau, se féconder. C’est ainsi un œuf, puis un embryon qui se développe pour donner naissance à un nouveau pied de fougère.

Cycle de vie d’une fougère commune (Jardins de France)

Il y a 300 millions d’années, ce sont les gymnospermes qui vont faire leur arriver avec une innovation importante : la graine. Indépendante du milieu aquatique, la graine n’est autre qu’un embryon protégé de l’extérieur, à l’état de dormance en attendant les conditions favorables à son développement. Les travaux de Luis Lopez-Molina et Lena Hyvarinen[21] mettent en valeur une grande capacité de protection aux UV et au froid de la partie externe de la graine, le tégument. Cette propriété leur a été d’un grand secours il y a 66 millions d’années, lors de la crise Crétacé/Paléogène (K-PG). Le crash d’un astéroïde de plusieurs kilomètres de diamètre prive le vivant de toute lumière pendant plusieurs mois, causant la disparition de 75% des espèces existantes. Il semblerait que les fougères soient les premières à être réapparu, près de 1 000 ans après le crash. L’état de dormance des graines de plantes à fleurs présentes sous terre prendra fin quelques temps plus tard, en témoigne certains fossiles de graines de palmiers. Ce n’est qu’il y a 140 à 250 millions d’années (la dernière approximation[22] est de 214 millions d’années) que la première fleur est apparue.

L’abominable mystère de Darwin

Fossile de Montsechia vidalii

Pour Darwin, le succès des plantes à fleurs a été un problème évolutif qu’il emporta dans sa tombe. En effet,  les plantes à fleurs ne semblaient pas suivre les grands principes de la théorie de l’évolution, à savoir une évolution lente et graduelle. Dans le registre fossile, Darwin ne trouvait pas d’intermédiaires mais une diversification brutale (pour laquelle je ne peux m’empêcher de faire un lien avec les schistes de Burgess[23]) et présente dans le monde entier. Il ira même jusqu’à imaginer un mystérieux continent originel des plantes à fleurs, aujourd’hui englouti, pour expliquer ce manque de données.

Pendant longtemps, des fossiles de la famille du cacaoyer et du magnolia découverts aux États-Unis et datant de 90 à 100 millions d’années (crétacé supérieur) ont été considéré comme la première trace des plantes à fleurs sur Terre. Cette date originelle a été repoussée de 30 millions d’années par les travaux de l’équipe de Bernard Gomez, paléobotaniste, sur des fossiles espagnols de Montsechia vidalii, petite plante aquatique datant de 125 à 130 millions d’années[24]. Bernard Gomez a réussi à isoler des graines fossilisées de Montsechia vidalii, typique des plantes à fleurs.

A la recherche de la fleur originelle

Portrait robot de l’ancêtre commun de toutes les plantes à fleurs. (Clément Champiat & François Tribolet, 2022)

Pour tenter de remonter à l’ancêtre commun de toutes les plantes à fleurs, de nombreux chercheurs s’appuient sur la flore contemporaine, notamment Amborella trichopoda. C’est actuellement le taxon le plus basal de l’arbre phylogénétique des plantes à fleurs. La lignée évolutive ayant conduit aujourd’hui à cette espèce est la première à s’être différenciée au cours de l’évolution des plantes à fleurs[25]. Le séquençage et la comparaison de son génome avec d’autres taxons plus récents semblent indiquer un ancêtre commun étant apparu il y a 214 millions d’années … ce qui donne tout à fait le temps nécessaire à la diversification dont Darwin sera témoins ! Pas de continent englouti donc, mais un intérêt particulier qui doit être porté aux microfossiles.

Welwitschia mirabilis (plante mâle)

Ces 214 millions d’années d’évolution sont à mettre en perspective à de nombreux égards, notamment grâce à la faculté du génome des plantes à fleurs à muter facilement, ce qui peut expliquer la grande variabilité existante dans la taille de leur génome. Un phénomène de polycloïdisation est observé régulièrement. Ce phénomène consiste, à l’échelle cellulaire, à copier une partie de ses chromosomes et « tester » une nouvelle mutation. Si le gène muté est avantageux pour l’individu il sera conservé ; s’il ne l’est pas, un retour au gène originel sera effectué. Ce brassage génétique constant est un argument de poids quant à la sélection de la reproduction sexuée, couteuse mais payante sur le long terme.

Plus récemment, les chercheurs ont étudié une autre plante particulière, Welwitschia mirabilis. Elle est constituée de deux grandes feuilles qui poussent indéfiniment dans des sens opposés et dont les extrémités s’abiment au fur et à mesure du temps. En plus de pouvoir vivre 2000 ans, les plantes mâles de cette gymnosperme vivant dans le désert du Namib possède des cônes mâles (contenant du pollen), mais aussi des ovules stériles et du nectar. Tous les ingrédients d’une plante à fleurs ! L’étude de son génome confirme cette hypothèse puisqu’on y retrouve, quasiment à l’identique, l’architecte florale LFY[26]. Cet architecte floral inactif peut même remplacer l’architecte d’une angiosperme[27] ! Nous y revenons, comme souvent, le vivant n’est qu’une histoire de variations sur un même modèle.

Modélisation de l’emboitement des architectes floraux de Welwitschia mirabilis en vert de d’une plante à fleur en bleu sur l’ADN des bâtisseurs (gènes A, B, C, E). La superposition est presque parfaite! (Clément Champiat & François Tribolet, 2022)

Fleurs et Homo sapiens: une relation irritante

De toute évidence, je ne peux écrire ce billet entre deux bouffées de Ventoline sans effleurer la question des allergies au pollen. Je me contenterai d’une brève synthèse de la page Wikipédia concernant la pollinose[28].

Le phénomène allergique est une réponse du système immunitaire à la rencontre de certaines parties allergènes des pollens. Si tous les pollens ne sont, normalement, pas allergènes, c’était sans compter sur la pollution. Sans grande surprise, tout se joue en milieu urbain. D’abord, certaines pollutions (diesel et tabac notamment) peuvent rendre notre corps plus sensible à ces pollens. Ensuite, il semblerait que cette même pollution amplifient voire crée des propriétés allergènes aux pollens par divers réaction chimiques (dégradation, oxydation). Enfin, la bétonisation des sols empêchent la fixation au sol des pollens par la rosée, les mousses, lichens et sols humides. Ces pollens sont mécaniquement abimés par l’abrasion au sol avant d’être renvoyés dans l’air, abimés, puis envoyés à nouveau en suspension jusqu’à se fixer sur un semblant de verdure. Ces dégradations mécaniques des pollens provoquent elles-aussi une amplification des propriétés allergènes. Pour finir, il semblerait qu’une combinaison d’émissions de pollens et de tempête entraine un éclatement des pollens en microparticules pénétrant encore plus en profondeur dans les voies respiratoires (plusieurs cas évoqués : Londres en 1994, Nantes en 2013 et Melbourne en 2016). Bien évidemment la disparition alarmante des pollinisateurs[29] (et de la biodiversité en général) ne fait qu’accentuer les niveaux de pollens en suspension ; et le réchauffement climatique entraine des saisons polliniques plus longues.

Aux vues de l’implication écologique du gouvernement français et de leurs (non)réponses aux enjeux écologiques, le triplement du nombre de personnes allergiques depuis le début des années 2000 n’est qu’un début.

Planches d’illustrations représentant divers pollens par le chimiste et pharmacien allemand Carl Julius Fritzsche (1837)

Doit-on tout investiguer au nom de la science ?

D’une manière assez étonnante, le documentaire se termine sur des projets de germination expérimentale de plantes, sur la Lune pour la Chine, et sur Mars pour la NASA. Avons-nous besoin de faire cela ? De la même façon, la mutation de TFL1, semble avoir rapidement trouvé une valeur marchande puisque permettant (théoriquement) de produire des fraises tout au long de l’année[30].

Sommes-nous en train d’essayer de comprendre notre environnement pour mieux l’habiter et le préserver, ou pour mieux le surexploiter ? En 2002, le chercheur Franz Broswimmer écrivait Une brève histoire de l’extinction en masse des espèces. Son constat est glaçant. Si Humboldt[31] tirait déjà la sonnette d’alarme a son époque, il est loin d’être le premier ! Meng Tzeu le faisait déjà au IIIème siècle AEC[32] ! Alors quels progrès ont été fait depuis ? En 1997, des économistes ont calculé la valeur économique des services de l’écosystème mondial, un PNB de la nature, 33 000 milliards de dollars par an[33]. C’est beaucoup. C’est aussi une drôle de façon de penser la protection de l’environnement que de le considérer comme un acteur économique comme un autre.


[1] Clément Champiat & François Tribolet, L’Abominable mystère des fleurs, 2022

[2] François Parcy, L’histoire secrète des fleurs, Humensciences, 2019, p. 35

[3] Clément Champiat & François Tribolet, Ibid

[4] François Parcy, Ibid, p. 43

[5] Charles Darwin, Fertilisation of Orchids, 1862, p. 197-203 dans Wikipédia

[6] Clément Champiat & François Tribolet, Ibid

[7] François Parcy, Ibid, p. 44-45

[8] Clément Champiat & François Tribolet, Ibid

[9] Le 14 avril 2023, pour la première fois, un arum titan a fleuri dans les Grandes Serres du Museum d’Histoire Naturelle de Paris.

[10] Clément Champiat & François Tribolet, Ibid

[11] François Parcy, Ibid, p. 66-70

[12] François Parcy, Ibid, p. 64

[13] François Parcy, Ibid, p. 82

[14] GIRAUDAT J., PARCY F., VARTANIAN N. et al., « Current advances in abscisic acid action and signalling », Plant Molecular Biology, vol. 26, décembre 1994, p. 1557-1577

[15] COEN E. S., MEYEROWITZ E. M., « The war of the whorls : genetic interactions controlling flower development », Nature, vol. 353, septembre 1991, p. 31-37

[16] Gilles Vachon, Gabrielle Tichtinsky et François Parcy, LEAFY, le régulateur clé du développement de la fleur, Biologie Aujourd’hui, 2012

[17] François Parcy, Ibid, p. 131

[18] Camille Moreau, Les formes pyramidales du chou romanesco sont en fait des fleurs ratées, Geo.fr, 2021

[19] F. Valverde, G. COUPLAND et al., « Photoreceptor regulation of CONSTANS protein in photoperiodic flowering », Science, vol. 303, février 2004, p. 1003-1006

[20] François Parcy, Ibid, p. 11

[21] Clément Champiat & François Tribolet, Ibid

[22] Clément Champiat & François Tribolet, Ibid

[23] Stephen Jay Gould, La vie est belle – les surprises de l’évolution, Seuil, 1991

[24] Clément Champiat & François Tribolet, Ibid

[25] Amborella trichopoda, Wikipédia

[26] Depuis, il a même été découvert dans le génome d’autres conifères.

[27] François Parcy, Ibid, p. 211

[28] Pollinose, Wikipédia

[29] De façon plus globale, au tournant des années 2000, « le biologiste Edward Wilson estime qu’avant l’apparition des humains la cadence de l’extinction des espèces était (très approximativement) d’une espèce par million d’espèces et par an (0.0001%). Les estimations des cadences actuelles d’extinctions des espèces sont de 100 à 10 000 fois plus grandes, mais la plupart se situent à près de 1 000 fois les niveaux pré-humains (0.1% par an) avec une tendance prévue à une hausse très probablement brutale ». (Franz Broswimmer, Une brève histoire de l’extinction en masse des espèces, Agone, 2010, p. 7)

[30] Fraisier – Fraisier à jour neutre, Wikipédia

[31] Noé Ciscki, L’invention de la nature par Alexandre von Humboldt (2023)

[32] Franz Broswimmer, Une brève histoire de l’extinction en masse des espèces, Agone, 2010, p. 72

[33] Franz Broswimmer, Ibid, p. 15

[34] Clément Lagrue, Les parasites manipulateurs: sommes-nous sous influence ?, Humensciences, 2019

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